Réflexions sur la constitutionnalité de la forclusion des nullités lors de l’information judiciaire
Toujours soucieux, en matière de procédure pénale, de sauver ce qui peut l’être et d’éviter que des nullités ne soient invoquées après que l’instruction s’est déroulée pendant trop longtemps, le législateur a, par la loi du 15 juin 2000, introduit dans le code de procédure pénale un article 173-1 qui, dans sa version actuelle, dispose comme suit :
« Sous peine d’irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf dans le cas où elle n’aurait pu les connaître. Il en est de même s’agissant des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant chacun de ses interrogatoires ultérieurs ou des actes qui lui ont été notifiés en application du présent code.
Il en est de même pour le témoin assisté à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieures.
Il en est de même pour la partie civile à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieur »
Par ce texte, le législateur obligeait donc la personne mise en examen à formuler dans un laps de temps — somme toute assez bref — à compter de sa mise en examen, tous les moyens de nullité de la procédure dont elle estimait disposer.
Il s’agissait, et la Cour de cassation a eu, par la suite, l’occasion de le dire expressément à de nombreuses reprises, d’instaurer un délai de purge destiné à sécuriser les procédures en interdisant aux parties de se prévaloir tardivement — c’est à dire devant la juridiction de jugement — des nullités qu’elles étaient en mesure de connaître.
La question s’est alors rapidement posée de savoir quelle était la définition que donnait la jurisprudence des moyens de nullité dont la partie mise en examen n’aurait pas pu connaître.
Le texte de l’article, par sa généralité, ne semble en effet pas faire de distinction selon la nature des moyens de nullités que la personne mise en examen a ignoré, en visant « les moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution » qu’elle « n’aurait pu connaître ».
On le constate, ce texte ne distingue pas selon que ces moyens apparaîtraient en raison de la révélation d’un fait inconnu jusque-là, ou d’une évolution juridique.
Aussi la Cour de cassation a-t-elle été saisie de nombreux pourvois tendant à voir jugé qu’une évolution jurisprudentielle, intervenue après l’expiration du délai de six mois, évolution aux termes de laquelle des actes de procédure jusque-là réguliers se révéleraient nuls, constituait bien un moyen dont le mis en examen ne pouvait avoir connaissance, de nature à lui ouvrir le droit de former une requête en nullité.
La chambre criminelle, nonobstant les termes généraux de l’article 173-1 du code de procédure pénale, a cependant refusé d’étendre aux évolutions jurisprudentielles le bénéfice des dispositions de ce texte, le réservant aux évolutions factuelles.
Cette solution a vu sa constitutionnalité contestée, au motif que l’interprétation donnée par la Cour de cassation contrevenait aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et au principe de l’égalité des armes.
La Cour de cassation a systématiquement refusé de transmettre les QPC portant sur le sujet.
On peut cependant se poser la question de savoir si un autre principe à valeur constitutionnelle ne pourrait pas être invoqué, avec de plus importantes chances de succès.
L’interprétation restrictive de l’article 173-1 par la Cour de cassation
C’est à l’occasion des déclarations d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité du régime de la garde à vue que la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer le plus clairement à propos des conséquences d’une évolution de la règle de droit sur la forclusion édictée par l’article 173-1.
Dans un arrêt en date du 27 septembre 20111 la Cour de cassation a ainsi rejeté le pourvoi formé par un mis en examen au motif de l’absence de notification de sa prolongation de garde à vue.
Pour ce faire, elle a considéré, comme la chambre de l’instruction, que le gardé à vue n’était plus recevable, en application des articles 173-1 et 174 du code de procédure pénale, à faire état auprès de la chambre de l’instruction d’un moyen de nullité des auditions en garde à vue, fût-ce en se prévalant d’une évolution de la jurisprudence, et qu’il ne saurait donc être admis à invoquer devant la Cour de cassation un tel moyen pour faire grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa requête en annulation d’actes de la procédure.
Ainsi, la chambre criminelle considérait que le requérant était forclos à faire valoir la violation de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le fondement des articles 173-1 et 174 du code de procédure pénale.
Cette interprétation restrictive — voire contra legem — de l’exception prévue à l’article 173-1 du code de procédure pénale, était confirmée par un arrêt du 14 février 2012 n°11-87.7572.
En l’espèce, le requérant avait été arrêté et placé en garde à vue le 6 octobre 2009 et mis en examen le 10 octobre 2009.
La chambre d’instruction avait rejeté sa demande de nullité aux motifs que
« le requérant était irrecevable à soulever la nullité au regard des dispositions de l’article 173-1 du code de procédure pénale, que le délai édicté par cet article est un délai de forclusion qui ne peut être interrompu ou prorogé sauf par l’exception prévue par le texte laquelle s’interprète nécessairement de façon restrictive ; qu’en effet le texte susvisé édicte un délai de purge destiné à sécuriser les procédures en interdisant aux parties de se prévaloir tardivement de nullité qu’elles étaient en mesure de connaître ; que dès lors l’exception ne concerne que le cas où les actes argués ne figuraient pas à la procédure, sont restés ignorés de sorte que l’accès au dossier conféré par le statut de partie civile, témoin assisté ou de mis en examen n’a pas permis à l’intéressé de s’en prévaloir ; que l’exception ne saurait concerné l’hypothèse alléguée par Monsieur X d’une évolution jurisprudentielle tirée des décisions de la Cour de cassation intervenues le 15 avril puis le 31 mai 2011. »
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, au motif sibyllin « que pour déclarer irrecevable l’exception de nullité des procès-verbaux d’audition de M.X établis au cours de la garde à vue, l’arrêt retient que l’intéressé n’a pas satisfait aux prescriptions de l’article 173-1 du CPP.
La Cour précise ensuite qu’en tout état de cause, le respect de l’article 6 de la CEDH est assuré par le fait que le demandeur aura, le cas échéant, la faculté de discuter la valeur probante de ses auditions de garde à vue devant la juridiction de jugement ».
Cette interprétation de l’exception est de nouveau confirmée par un arrêt du 6 mars 20133, sur le fondement d’une motivation similaire.
Un arrêt très récent de la Cour de cassation, en date du 5 mars 20194, confirme en revanche que le mis en examen échappe à la forclusion lorsque les moyens de nullité qu’il invoque sont fondés sur une évolution des circonstances matérielles.
Dans cet arrêt la Cour de cassation, au visa des articles 173 et 173-1 du code de procédure pénale, annule l’ordonnance de la chambre d’instruction qui avait rejeté la requête en nullité déposée par un mis en examen dont la perquisition opérée à son domicile avait été faite en présence d’un journaliste et dont la preuve de l’accord passé entre une société de production et l’autorité judiciaire était apparue postérieurement.
Cet individu avait déposé précédemment d’autres requêtes en nullité, mais il n’apparaissait nulle part dans la procédure ni dans les PV de perquisition la présence dudit journaliste.
Ce n’est qu’ultérieurement, à l’expiration du délai de six mois de l’article 173-1, que l’accord conclu entre l’autorité judiciaire et la société de production a été révélé.
Le président de la chambre de l’instruction avait estimé que le mis en examen soulevait à l’appui de sa requête en nullité́ des arguments et moyens nouveaux qu’il n’avait pas soulevés initialement et qu’il lui incombait, conformément à l’article 4 alinéa 1 du code de procédure pénale et sous peine d’irrecevabilité́, de soumettre ses moyens de nullité́ pour l’audience de la chambre de l’instruction du 28 mai 2015, ayant abouti à l’arrêt du 25 juin 2015.
La Cour de cassation a censuré l’arrêt en faisant valoir que, puisque l’intéressé́ faisait valoir que la preuve de la présence d’un journaliste ainsi que l’autorisation donnée à cette fin par l’autorité́ judiciaire était apparue postérieurement à l’expiration du délai de six mois, la forclusion posée par l’article 173-1 ne saurait lui être opposée.
Ainsi, si les évolutions jurisprudentielles ne semblent pas être considérées comme un événement nouveau permettant de déposer une requête après le délai de 6 mois, l’apparition au cours de la procédure d’un élément factuel resté inconnu pendant les six premiers mois suivant l’interrogatoire de première comparution permet de pouvoir agir au-delà de ce délai.
La constitutionnalité de l’article 173-1, tel qu’interprété par la Cour de cassation
Le régime très restrictif de l’exception du délai de forclusion auquel aboutit la jurisprudence de la Cour de cassation a posé la question de la constitutionnalité de ce texte, ainsi interprété.
Pas moins de 10 QPC5 ont été posées sur ce point. Aucune n’a cependant été transmise au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation considérant de façon constante que ces questions n’étaient pas sérieuses.
Dans un arrêt du 20 juillet 2011 n° 11-831946, la Cour de cassation a ainsi rejeté la QPC suivante :
« l’article 173-1 du code de procédure pénale, pris en la première phrase de son premier alinéa, qui rend irrecevable tout moyen tiré de la nullité d’un acte d’enquête ou d’instruction antérieur à l’interrogatoire de première comparution s’il n’est présenté par le mis en examen dans les six mois suivant cet interrogatoire, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, particulièrement le droit à un recours effectif, le respect de droit de la défense, le droit à un procès équitable et le principe de l’égalité des armes ? »
La Cour de cassation a estimé que « la question ne présentait pas, à l’évidence, un caractère sérieux, en ce que le délai imparti à la personne mise en examen, par la disposition législative contestée, qui destinée à éviter une remise en cause tardive de l’information de nature à fragiliser la procédure, est justifié par l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, et alors qu’au surplus, d’une part, la chambre de l’instruction a le pouvoir de relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité des procédures qui lui sont soumises, et d’autre part, la personne mise en examen a toujours la faculté de discuter la valeur probante des pièces de la procédure devant la juridiction de jugement ».
Ainsi, est opposé aux droits de la défense et au principe de l’égalité des armes, l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice pour justifier ce délai de forclusion.
On notera cependant qu’aucune des QPC déposées n’envisageait la conformité des dispositions de l’article 171-3 au principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale, auquel est associé celui de l’application immédiate de la loi pénale plus douce.
Or, ce fondement n’est pas dénué de pertinence.
La question de la conformité de l’interprétation de l’article 173-1 au principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale
Depuis la décision Sécurité et Liberté, rendue en 1981, (Cons. constit. n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, cons. 75. Voir aussi n° 92-305 DC du 21 février 1992, cons. 112), il est acquis que le principe de l’application immédiate de la loi pénale plus douce repose sur les dispositions de l’article 8 de de la Déclaration de 1789, lesquelles veulent que la loi n’établisse que des « peines strictement et évidemment nécessaire », principe qui serait battu en brèche si l’on condamnait quelqu’un sur le fondement d’une situation qui, au jour de son jugement, ne permettrait plus sa condamnation.
Cette position a été précisée par une décision du 3 décembre 2010, par laquelle le Conseil constitutionnel approfondit sa jurisprudence de 1981 en estimant qu’il résulte de l’article 8 de la DDHC que « le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires » il en déduit que « dès lors, sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi pénale plus douce soit rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée » (cons. 3).
Il pourrait, en s’appuyant sur ces décisions, être soutenu que les dispositions de l’article 173-1 du code de procédure pénale, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, contreviennent à ce principe constitutionnel de rétroactivité in mitius, en ce qu’elles ne permettent pas à une partie de faire état d’une évolution jurisprudentielle qui, si elle était appliquée, priverait de régularité la procédure poursuivie.
Il sera très certainement opposé qu’il ne s’agit pas, dans une telle hypothèse, de faire produire, rétroactivement, des effets à une loi pénale, puisqu’aucune loi nouvelle diminuant la peine ou supprimant l’incrimination n’est intervenue, mais qu’est seulement apparue une nouvelle règle de droit rendant pertinent un moyen de nullité qui, jusqu’alors, ne l’était pas.
La question portera donc sur le point de savoir si ce principe de rétroactivité in mitius doit être interprété de façon restrictive, comme ne devant s’appliquer que dans la seule hypothèse où une loi nouvelle prévoit une peine plus légère ou fait disparaître une incrimination, ou, au contraire, si l’on doit considérer que rentre également dans son domaine d’application toute évolution légale ou jurisprudentielle qui, sans directement diminuer la peine ou supprimer l’incrimination, a indirectement pour effet d’empêcher la condamnation d’un individu ou, à tout le moins, d’aboutir à l’annulation de certains actes de la procédure.
Elle mérite d’être posée, dans la mesure où, pour être indirectement obtenu, le résultat final est similaire à celui produit dans le cas de l’intervention d’une loi pénale plus douce, stricto sensu, à savoir l’amélioration de la situation d’un mis en cause.
Elle apparaît d’autant plus pertinente que, comme il convient tout de même de le souligner de nouveau, la rédaction des dispositions de l’article 173-1 du code de procédure pénale n’exclut pas, par nature, les évolutions jurisprudentielles des moyens de nullité dont le mise en examen n’aurait pu connaître.
Le texte ne dispose en effet aucunement que seul des éléments factuels pourraient, en apparaissant après l’expiration du délai de six mois, rouvrir le droit du mis en examen à déposer une requête en nullité. Il ne vise que « les moyens de nullité » dont il n’aurait pas pu connaître.
L’objectif poursuivi par ces dispositions est donc de ne pas priver quelqu’un d’un droit qu’il n’était pas en mesure d’exercer dans les délais car il ne savait pas que celui-ci lui était ouvert.
Dans ce contexte, on ne voit pas pour quelle raison le fait que la révélation de l’ouverture de ce droit procède d’une évolution factuelle ou d’une évolution légale ou jurisprudentielle changerait la nature de la situation.
Dans tous les cas, il apparaît que le mis en examen ignorait bien un moyen de nullité pendant les six mois au cours desquels il était autorisé à le soulever.
La solution retenue par la Cour de cassation ne peut donc se prévaloir d’aucun fondement textuel, ni même d’aucune base logique.
Il sera certainement opposé à ce raisonnement le fait qu’il existe une différence entre l’apparition d’un fait nouveau et une évolution jurisprudentielle.
En effet, dans le premier cas, la partie est confrontée à l’absence matérielle de l’élément qui lui aurait permis de soulever une nullité, alors que, dans le second cas, ce n’est que la conviction qu’elle avait de l’inutilité du moyen, au regard de la position de la jurisprudence, qui l’avait convaincue de renoncer à le soulever.
On pourrait donc objecter qu’il ne s’agit pas, dans le second cas, de l’apparition d’un élément nouveau, mais d’une appréciation juridique, effectuée par la partie, à ses risques et périls.
Un tel raisonnement ne saurait cependant être approuvé.
En effet, il condamnerait les parties à soulever, dans le délai de six mois, prévu par l’article 173-1, tous les moyens de nullité, même ceux voués à l’échec, ce qui aurait pour conséquence de les confronter à l’autorité de chose jugée de l’arrêt qui les aurait rejetés, en fondant un tel rejet sur l’état de la jurisprudence.
Retenir une telle argumentation aboutirait donc à placer les parties face à une alternative dont chacune des branches engendrerait des effets pareillement délétères.
Soit la partie ne soulève pas la nullité et elle est forclose, soit elle la soulève et elle se verra opposer l’autorité de chose jugée, ce qui lui interdira de les soulever de nouveau.
Au demeurant, cet argument ne résoudrait pas la question de l’applicabilité immédiate de la loi pénale plus douce. En effet, il n’apporte aucune réponse au point de savoir, au regard de ce principe constitutionnel, pourquoi une partie peut être privée, par l’effet des dispositions de l’article 173-1, d’une évolution du droit qui rend sa condamnation impossible.
Il ne reste donc plus à espérer — mais c’est le lot de toutes les QPC qui critiquent l’interprétation donnée par la jurisprudence à une loi — que la chambre criminelle aura l’honnêteté intellectuelle d’examiner sans parti pris les conséquences auxquelles sa jurisprudence aboutit et transmette au Conseil constitutionnel la question qui serait posée à son sujet.