Procès Tron : la première plaignante à l’épreuve de l’audience
Le Monde – Pascale Robert Diard publié le 16 décembre 2017
La première plaignante, qui accuse l’élu de viols et d’agressions sexuelles, a été entendue jeudi 14 décembre.
Avant de prendre sa part de l’interrogatoire de Virginie F., l’une des deux plaignantes qui accusent Georges Tron et son ex-adjointe à la culture de la mairie de Draveil (Essonne), Brigitte Gruel, de viols et d’agressions sexuelles, Me Eric Dupond-Moretti a lu à l’audience la lettre qu’il venait d’adresser au Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la diffusion, jeudi 14 décembre, d’un reportage d’ «Envoyé spécial » sur l’affaire. « La diffusion d’un tel documentaire, réalisé quelques jours avant l’audience, et qui ne semble que collecter des éléments visant à porter atteinte à la présomption d’innocence de notre client (…), constitue une atteinte particulièrement grave à cette présomption, et apparaît susceptible d’influencer largement les débats de justice », écrit-il.
Gageons que, parmi les six jurés citoyens – cinq femmes et un homme – et les trois magistrats professionnels de la cour d’assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny, plusieurs ont passé leur soirée devant le petit écran après avoir assisté à la troisième journée d’audience de ce procès. Devant la cour, Virginie F. a expliqué sa participation à ce reportage en ce qu’il s’inscrit « dans l’engouement qui se produit autour de la parole des femmes. C’est (…) une démarche pour Virginie F. et son avocat, Vincent Ollivier,à leur arrivée au tribunalde Bobigny, les victimes qui n’osent pas parler, pour leur dire que ne pas dénoncer, c’est accepter.»
Rituel immuable
En une journée, deux regards ont donc été portés sur une même affaire. L’un, médiatique, l’autre, judiciaire. Dans le premier, Virginie F. est une victime parlant aux victimes, dans l’autre, elle est encore pour l’heure et aussi longtemps que le verdict des assises n’a pas été rendu, une plaignante déposant devant des juges. Entre ces mots est un monde que cette journée d’audience a très bien illustré.
Virginie F. a été interrogée pendant plusieurs heures selon un rituel immuable : d’abord le président de la cour, Régis de Jorna, puis les avocats des parties civiles – dont son propre conseil, Vincent Ollivier et la représentante de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail – suivis de l’avocat général, Frédéric Bernardo, et, enfin, les avocats de la défense de Georges Tron et Brigitte Gruel.
Déstabilisée, accablée, redressée, confortée, salie par les questions, elle a livré son récit des faits reprochés aux deux accusés, notamment celui des deux scènes de triolisme qui lui auraient été imposées avec, pour l’une, pénétration digitale susceptible de constituer un viol au sens du code pénal. « C’était comme si j’étais une poupée gonflable, un morceau de viande qu’ils manipulaient », a-t-elle dit, parlant d’une « contrainte non pas physique, mais psychologique, une contrainte par peur » qui l’a empêchéede réagir. Elle a évoqué ce qui avait précédé – sa rencontre avec Georges Tron, qu’elle sollicitait pour un emploi, son embauche à la médiathèque de Draveil, les rendez-vous au restaurant et les premiers massages sous la nappe, et ce qui avait suivi – la perte de l’estime de soi, son alcoolémie, ses tentatives de suicide, jusqu’à sa décision de porter l’affaire devant la justice.
A chaque fois, ce récit a été confronté à ses dépositions lors de sa plainte, à celles livrées aux magistrats instructeurs et aux vérifications minutieuses que ceux-ci ont effectuées. Son avocat, Me Ollivier, a affirmé : « Les 600 000 femmes qui subissent chaque année des violences sexuelles en France et hésitent à porter plainte devant la justice seront confortées dans leurs hésitations par ce procès! » Semer le doute est bien sûr, dans cette affaire, l’objectif de la défense des deux accusés. Mes Dupond-Moretti et Antoine Vey pour Georges Tron, Me Frank Natali pour Brigitte Gruel s’y sont employés en soulignant une à une les « incohérences » dans le récit de la plaignante, puisées dans l’ordonnance de non-lieu rendue par les premiers juges avant qu’elle ne soit contredite par l’arrêt de la chambre de l’instruction.
Faisant feu de tout bois, ils ont relevé les contradictions dans les détails sur les scènes d’agressions sexuelles et de viol
– comment? combien de fois? par qui? yeux ouverts? yeux fermés?
– leurs dates, leur contexte et le comportement qui avait été le sien à l’égard des deux élus après ces scènes. Me Dupond-Moretti a notamment évoqué cette séance photo du maire pour un calendrier, dont la réalisation a été confiée par Virginie F. à sa mère photographe
– « Moi, je veux comprendre comment quelqu’un qui a été violé va demander à sa mère d’arranger le portrait de son violeur! », s’est-il exclamé – ou une lettre qu’elle a adressée après son départ de la mairie à Georges Tron : « Cher Georges, je tenais à vous dire merci pour votre soutien et votre confiance. J’ai adoré travailler avec vous. »
Les avocats de la défense ont insisté sur tout ce qui pouvait la discréditer : ses « variations » concernant le lien entre sa tentative de suicide et les agressions qu’elle aurait subies; les mensonges avérés qu’elle a pu proférer à la périphérie de l’affaire, sur l’existence ou non de relations extraconjugales, ou sur le cancer de l’utérus dont elle se disait atteinte.
« L’irritation du doute »
Cruel, Me Dupond-Moretti a repris les témoignages de ses proches à ce sujet : « Lorsque vous évoquez devant eux cette tumeur, vous pleurez. Comme vous pleurez aujourd’hui, madame.
– J’ai dit ce mensonge pour me décharger émotionnellement », répond-elle.
Avec plus de civilité, mais avec la même féroce efficacité, Me Natali lui a demandé : « Est-ce que vous comprenez, madame, que l’on puisse penser que vous mentez?
– Je peux le comprendre.
– Est-ce que vous comprenez que le récit que vous faites dans votre plainte et qui n’est pas confirmé sur plusieurs points (…), puisse créer un doute sur ce que vous affirmez?
– Je peux comprendre aujourd’hui que mes incohérences me portent préjudice. »
Ainsi va le débat devant la cour, tel que l’a décrit magistralement l’ethnologue Catherine Besnier dans son essai récent La Vérité côté cour (La Découverte, 220 pages, 18 euros) : l’audience n’est pasle lieu de la « certitude morale », mais celui de la « discussion rationnelle sur les preuves » et doit se frotter, pour cela, à « l’irritation du doute. » « Acquérir une conviction, c’est ne plus être gêné par le doute. » Ce travail-là, que la cour et les jurés vont mener jusqu’au 22 décembre, tant sur les accusations des plaignantes que sur les dénégations des accusés, est celui qui sépare #balancetonporc de juger et éventuellement condamner.