Procès Tron : « ‘Un morceau de viande’ ? C’est-à-dire ? »
Temps réels – Nouvel Obs – Lucas Burel – publié le 14 décembre 2017
L’échange entre Régis de Jorna, le Premier président de chambre, et Virginie E. plonge la grande salle du tribunal de Bobigny dans le silence. « Pourquoi vous êtes-vous laissée faire ? Pourquoi ? ». Vêtue de noir, les mains jointes sur la barre, la plaignante balbutie, comme sidérée par l’insistance du magistrat :
C’est mon corps qui n’a pas réagi.
Vincent Ollivier, son avocat se lève : « On est en 1950, là ? Qu’est-ce que c’est que cet interrogatoire ? La cour fait mine de découvrir la sidération d’une victime. »
« Le maire est très tactile »
Au troisième jour du procès de Georges Tron – marqué par une organisation erratique – la parole, enfin, est aux victimes présumées. Virginie E., qui accuse depuis bientôt sept ans le maire de Draveil et son ancienne adjointe Brigitte Gruel de l’avoir violée à deux reprises, raconte le début de sa collaboration avec l’élu.
Elle décrit un homme abordable, proche de ses équipes : au château de Villiers, Georges Tron fait la bise à ses employés, qui lui donnent du « Georges » en retour. Virginie E. est mise en contact avec l’ancien secrétaire d’État par l’intermédiaire de son attachée parlementaire, Lucile Mignon. Mais, dès leur première rencontre en 2008, elle s’étonne de l’attitude de Georges Tron qui lui propose un massage au détour d’une conversation sur les médecines alternatives. Rebelote une semaine plus tard, en tête à tête cette fois, dans un restaurant japonais de Draveil, détaille Virginie E. auprès de la cour.
Il m’a fait enfiler des mi-bas, en m’expliquant que c’était un prototype qu’il avait mis au point. Il a gardé mon pied dans sa main tout en mangeant.
Les « massages » se multiplient après son embauche au mois de septembre. Lors de cafés politiques et des réceptions auxquels monsieur le maire traîne sa nouvelle employée « sans raisons apparentes ». « Toutes les occasions étaient bonnes pour lui. Cela n’avait rien à voir avec de la réflexologie », insiste Virginie E., à la barre. Un week-end, sur le marché de Ris-Orangis, elle confie sa gêne à Lucile Mignon, alors que Georges Tron « lui fait du pied ». Sa collègue lui dit :
Le maire est très tactile, mais s’il voit que tu n’es pas réceptive, il va arrêter.
Virginie E. tente de se dégager, mais Georges Tron n’arrête pas. Il ne s’excuse jamais, ne donne aucune explication après chaque séance, fait « comme si de rien n’était », se rappelle celle qui l’accuse.
Un interrogatoire serré
Les choses basculent en novembre 2009, lors d’un déjeuner organisé dans la salle de réception de la mairie. Après avoir été massée sous la table par Georges Tron et Brigitte Gruel lors du repas, Virginie E. se retrouve seule avec le duo, qui ferme la porte à clé. En larmes, elle détaille le premier viol dont elle assure avoir été la victime :
Mme Gruel a défait mon chemisier, baissé mon soutien-gorge (…). M. Tron m’a caressé le sexe puis me l’a écarté (…). Mes paupières tremblaient, à chaque fois que je voulais ouvrir les yeux, Georges Tron me les refermait.
A côté d’elle, dans un silence quasi-complet, Brigitte Gruel « pratique une fellation à Georges Tron ». « Ils ne se parlaient pas. J’ai entendu Brigitte Gruel gémir de plaisir. » Le président de la cour insiste : « Comment pouvez-vous l’affirmer si vos yeux étaient fermés ? » « Des bruits de succion », répond Virginie E.
Dans sa plainte, elle expliquait être rentrée chez elle dans la soirée pour se « laver plusieurs fois » avec « une brosse à ongles ». Ce soir-là, Virginie E. fait une tentative de suicide et les pompiers interviennent à son domicile. Ce qu’elle n’évoquera pas auprès des enquêteurs. « Chronologiquement, c’est compliqué d’avoir une cohérence quand on est sous le choc », articule péniblement l’ancienne employée de mairie, dont plusieurs imprécisions et erreurs factuelles fragilisent le témoignage.
Selon la défense de Georges Tron, c’est un événement privé qui aurait plutôt précipité son passage à l’acte : la fin d’une relation privée avec son chirurgien esthétique, intervenue à la même période que le premier viol. Une relation que Virginie E. continue de nier, malgré les « aveux » du médecin, versés au dossier.
Mais en quoi cela pose une difficulté dans mon dossier ? (…) Je suis censée me suicider pour deux relations sexuelles consenties avec mon médecin ?
L’interrogatoire se prolonge, sans toujours beaucoup de tact. La cour cherche à comprendre l’attitude parfois paradoxale que la plaignante a adoptée dans les semaines qui ont suivi son premier rapport sexuel présumé avec le maire et son adjointe Brigitte Gruel :
– Pourquoi avoir cherché à prolonger votre contrat dans la mairie de Georges Tron ?
– Je n’avais pas le choix (…). C’est mon mari qui décidait de ce genre de décisions et j’avais trop peur de lui parler de ce que je vivais (…).
– Pourquoi avez-vous proposé les services de votre mère [photographe amateur, NDLR] pour aider Georges Tron à faire les clichés de son calendrier de Noël, juste après le premier viol ? (…)
– Je ne voulais pas montrer que j’allais très mal et protéger ma mère.
« Mon cœur battait vite, je n’arrivais plus à respirer »
Les seconds faits dénoncés par Virginie E. se déroulent le 4 janvier 2010. Selon son récit, une secrétaire lui demande ce jour-là d’apporter un agenda au domicile de Brigitte Gruel. Elle place un mouchoir sous ses yeux rougis : « J’avais un ordre de mon patron, j’ai exécuté un ordre comme tout employé. »
A son arrivée au domicile de l’adjointe, elle comprend rapidement qu’un « piège » va se refermer sur elle en découvrant des verres de vin pleins et des macarons sur la table du salon. Georges Tron est déjà installé dans un canapé au milieu de la pièce. Le maire insiste pour qu’elle enlève son manteau et commence à saisir son pied « pour les réchauffer » puis souffle dessus.
Je me suis liquéfiée, j’étais dans l’incompréhension totale que cela puisse recommencer. J’étais très choquée et pas en mesure de réagir.
Son chemisier est dégrafé et Georges Tron lui demande de fermer les yeux. Le « rituel » vécu quelques semaines plus tôt dans la salle de réception de la marie se répète : « Je me retrouve au bout du canapé avec George Tron qui me prend la main et me fait toucher les jambes nues de Brigitte Gruel (…). Il place ma main sur le sexe de Brigitte. » « Par chance j’avais un collant, cela m’a sauvée, mais j’ai été caressée à travers », ajoute-t-elle, reconnaissant avoir « des souvenirs flous ».
Mon cœur battait vite, je n’arrivais plus à respirer. J’avais peur de mourir d’une crise cardiaque. J’étais sous contrainte psychologique. J’avais peur, je n’ai ouvert les yeux qu’à partir du moment où il n’y avait plus de bruits.
« J’étais comme un morceau de viande », avait-elle expliqué devant les enquêteurs.
Régis de Jorna reprend ses questions, maladroit :
– ‘Un morceau de viande’ ? C’est-à-dire ?
– J’ai vraiment besoin d’en rajouter ? Je crois que c’est clair M. le président… »
« Ce n’est pas de l’invention, c’est de la croyance »
Dans un style « naïf », selon ses propres mots, le président égrène les questions sur les déroulés de la journée du 4 janvier :
– En arrivant chez Brigitte Gruel, vous saluez Georges Tron. Vous acceptez donc l’idée de souhaiter la ‘bonne année’ à quelqu’un qui vous a violée ?
– Que voulez-vous que je vous dise M. le président ? Que je lui réponde : ‘Je ne vous souhaite pas une bonne année’ ?
– Pourquoi avoir accepté de vous rendre chez Brigitte Gruel pour lui donner cet agenda ? Si le maire vous demande de vous jeter de je ne sais pas où, vous le faites ? »
« Je savais que personne n’allait me croire. Sur mon absence de réactions, comment expliquer aux autres quelque chose qu’on n’arrive pas à comprendre soi-même », continue Virginie E. Oui, ses souvenirs ne sont « pas nets », oui, elle a peut-être « reconstruit » certains faits, oui elle a bien inventé d’avoir un « cancer de l’utérus » pour « se protéger » du maire car « il avait peur des maladies ».
Ce n’est pas de l’invention, c’est de la croyance. Mais je peux comprendre que mes incohérences me portent préjudice. »
Au terme d’une journée d’audience très éprouvante, sa défense le sait, Virginie E. s’est souvent perdue dans les détails. Surtout, la cour, peut-être autant que la défense de Georges Tron, ne lui a rien épargné. De quoi arracher un commentaire plein de dépit à son avocat Vincent Ollivier : « Si les 600.000 femmes qui sont violées tous les ans regardent cette audience, eh bien dans leur immense majorité elles continueront de garder le silence… »