Le procès de Georges Tron est renvoyé à « une date ultérieure »
Le Monde – Pascale Robert-Diard – publié le 15 décembre 2017
La cour d’assises de Seine-Saint-Denis a finalement accédé à la demande de la défense, qui souhaitait le renvoi du procès de l’ex-secrétaire d’Etat, jugé pour viols.
Après une journée émaillée d’incidents d’audience, vendredi 15 décembre, le procès de Georges Tron et de son ex-adjointe à la mairie de Draveil (Essonne), jugés pour viols et agressions sexuelles sur deux plaignantes, a été renvoyé à une date ultérieure.
Après avoir entendu les représentants des parties civiles, de l’accusation et de la défense, le président de la cour d’assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny, Régis de Jorna, et ses deux assesseurs ont considéré qu’il n’était plus possible d’assurer la sérénité des débats et de tenir le calendrier prévu de l’audience qui devait s’achever le 22 décembre.
Tout s’est précipité lors d’une rencontre « informelle » entre le président de la cour et l’ensemble des parties au procès, avant la reprise des débats vendredi matin. Cette discussion, à l’initiative du président, portait sur la diffusion la veille, dans l’émission « Envoyé spécial », d’un documentaire consacré à l’affaire, à laquelle participait l’une des plaignantes, Virginie Faux, ainsi qu’une femme citée comme témoin et qui n’avait pas encore été entendue par la cour d’assises.
La veille, Me Eric Dupond-Moretti, qui assure la défense de Georges Tron, avait lu la lettre qu’il venait d’adresser au Conseil supérieur de l’audiovisuel dans laquelle il dénonçait la diffusion d’un tel documentaire, réalisé quelques jours avant l’audience, qui constituait, selon lui, « une atteinte particulièrement grave » à la présomption d’innocence de son client et apparaissait « susceptible d’influencer largement les débats de justice ». La défense des deux accusés envisageait de faire un nouvel incident à ce sujet à la reprise des débats.
Des propos informels transformés en arguments
Au cours de cette discussion tenue « sous la foi du palais » – un code non écrit qui régit les relations entre magistrats et avocats –, le président de Jorna, pensant sans doute avec un peu de naïveté s’exprimer en confiance auprès de ses interlocuteurs, a fait part de ses états d’âme. Il a souligné le problème que posait la diffusion d’une émission ne reprenant que la parole des plaignantes, mais aussi la violence de la mise en cause personnelle dont il était l’objet sur la façon dont il avait interrogé, la veille, Virginie Faux, notamment dans certains comptes rendus réalisés en direct à l’audience, tant par des journalistes que par des personnes proches des plaignantes.
Il s’interrogeait notamment sur la pression que tout cela pouvait exercer sur les interrogatoires à venir dans la formulation de ses questions et laissait entendre que, pour juger une telle affaire, il aurait peut-être été plus judicieux d’avoir choisi une femme.
Mais ce qui aurait pu rester une simple conversation entre professionnels a aussitôt été perçu par la défense des deux accusés comme une formidable opportunité d’obtenir le renvoi du procès. Elle le souhaitait pour deux raisons : la première tient au contexte particulier créé par la lame de fond de l’affaire Weinstein dans lequel ce dossier est jugé et qui est défavorable à la défense. La seconde – liée à la première ou pas – vient de la mauvaise surprise qu’a constituée, pour les conseils de Georges Tron et de Brigitte Gruel, la découverte d’un avocat général pugnace et offensif, Frédéric Bernardo, qui, par ses premières questions, laissait clairement entendre qu’il ne comptait pas suivre l’attitude jusque-là très favorable aux accusés qui avait été celle du parquet tout au long de l’instruction, puis en appel devant la chambre de l’instruction. A chacune de ces étapes, le parquet avait, en effet, requis un non-lieu en faveur du maire de Draveil et de sa coaccusée.
A la reprise des débats, la défense s’est donc appuyée implicitement sur ces propos informels de Régis de Jorna pour justifier sa demande de renvoi du procès, en soulignant que celui-ci n’était plus à même de les mener sereinement. Comprenant le piège qui lui était tendu, le président ordonnait une suspension d’audience dont il revenait, avec ses deux assesseurs, quatre heures plus tard. Le visage blême, il annonçait que la cour rejetait cette demande.
« Stratégie de bulldozer »
Me Dupond-Moretti menait alors une seconde offensive, en évoquant explicitement cette fois les propos tenus par le président. Face à l’indignation des avocats de la partie civile sur cette violation de « la foi du palais », il rétorquait que celle-ci avait une limite, « l’intérêt supérieur de celui que l’on défend ».
« Vous dites que votre nom a été associé au #balancetonporc. Vous dites que cette émission d’“Envoyé spécial” est honteuse ! Vous dites qu’il aurait mieux valu une femme comme présidente ! Qu’est-ce que c’est que cette discrimination ? Est-ce que cela signifie qu’il aurait fallu choisir un président musulman au procès Merah ? Et pourquoi une femme ? Quelles qualités prêtez-vous à une femme que vous n’auriez pas ? On ne peut pas continuer comme ça. Au pis, c’est un aveu d’incapacité, au mieux celui d’une difficulté qui vous honore. Les difficultés que vous éprouvez, il faut en tirer les conséquences », a conclu Me Dupond-Moretti en lui demandant de se déporter.
Farouchement hostiles à ce renvoi, les avocats des parties civiles et l’avocat général ne pouvaient que constater que ces heures passées en incidents d’audience, venues s’ajouter au retard déjà accumulé sur le calendrier, rendaient de plus en plus hasardeuse la possibilité de terminer ce procès avant Noël. Les uns après les autres, ils ont donc été contraints de rendre les armes. « La tension de cette audience, elle n’est aucunement le fait des parties civiles, mais intégralement celui de la défense, qui a mené une stratégie de bulldozer destinée à nous museler », a observé Me Alexandre-M. Braun, avocat d’Eva L. En écho, son confrère Vincent Ollivier a dénoncé « le terrorisme judiciaire » d’Eric Dupond-Moretti, « qui n’a eu de cesse de dynamiter toute la procédure pour éviter d’exposer les turpitudes de Georges Tron ».
« La défense a décidé de polluer ce débat »
L’avocat général a dû se soumettre à son tour. « Si nous renvoyons ce procès, c’est uniquement parce que la défense a décidé de polluer ce débat. » Frédéric Bernardo a toutefois adressé une mise en garde à la défense : « Que va retenir l’opinion de tout cela ? Que Georges Tron échappe à ses responsabilités, qu’il ne veut pas être jugé, c’est tout ! »
Dans le palais de justice de Bobigny, la cour d’assises qui avait prévu neuf jours d’audience pour instruire cette affaire de viols et d’agressions sexuelles se vidait, pendant que, dans les salles voisines, jusque tard dans la nuit, on allait continuer de juger à la chaîne.